Entiers postaux et cartes postales

Nicole Hanot
Mise en ligne 31 mars 2013


Définition

On entend par « entier postal » tout « imprimé émis par l’Administration des Postes, ayant une valeur fiduciaire et directement utilisable par l’usager » .
En ce sens, les « feuille-poste » de Heinrich von Stephan, les cartes postales, carte-lettres et enveloppes « prêtes à poster » ou « prêtes à envoyer », aérogrammes, bandes de journaux pour imprimés, etc. des administrations postales sont des « entiers postaux ».

2 entiers postaux

Deux entiers postaux : Carte-lettres belges
Celle de gauche (rédigée au crayon aniline) date de 1895 – l’inscription « Ne pas livrer le dimanche » est biffée.
L’adresse de celle de droite, postée en 1899, mentionne  simplement  le nom du village d’ « Ombret »
où se trouvait effectivement un port et un chantier naval, devant le Café de la Marine.
Celui-ci servait-il de dépôt de messagerie ?


Un holdup légal

Les premiers émis semblent bien être les Cavallini ou Cavalotti des Postes sardes…

En 1819, le ministre des Postes du royaume de Piémont-Sardaigne impose à toute personne qui adresse un courrier par un messager personnel ou par un « piéton », donc sans recourir au service de la poste d’état, d’utiliser pour rédiger son message une carte-lettre avec figurine gravée représentant un génie à cheval – vendue uniquement dans les bureaux de la Poste… Ce que certains appellent un « remarquable holdup postal », puisque l’on impose une taxe postale pour un service qui n’est pas rendu par la Poste !  Inutile d’ajouter que tout contrevenant était passible de graves sanctions…

D’aucune attribuent l’invention des entiers postaux aux Russes, qui en tout cas furent les premiers à les utiliser intensivement.

 

La carte postale

« Un papier à lettres sur lequel il n’est plus de place pour l’écriture, voilà, en effet la véritable et la meilleure définition de la carte postale »

René Vincy, in La revue de photographie, 1905

Le remplacement de la feuille de papier par un rectangle de papier cartonné lorsqu’on a quelques mots seulement à rédiger est dans l’air du temps, mais certains reprochent à ce système le manque de discrétion dû à l’absence d’enveloppe.

Les cartes postales officielles apparaissent à Vienne suite à la proposition du Docteur Hermann le 1er octobre 1869, en Belgique en 1871. En France, la carte postale apparait en 1870 à Strasbourg mais il faut attendre 1889 pour l'illustration et 1891 pour les cartes photographiques du marseillais Dominique Piazza alors que l'idée avait été émise dès 1851 par le photographe marseillais Louis Rodéro. Et biens d'autres photographes vont suivre comme l'attestent les albums de cartes photographique de l'époque.

Les occupants allemands, pendant la guerre de 1870, ont autorisé ce type de missive en France car il permettait d’exercer plus facilement la censure que la lettre.  Le blocus de Paris a incité le gouvernement français à autoriser le transport de cartes-postes, cartes-dépêches et carte-dépêches-réponses par aérostats.  En 1873, deux modèles (le moins cher étant destiné à la correspondance de proximité) sont mis à la disposition du public français dans les bureaux de poste remportent un succès immédiat : on dit que sept millions en furent écoulés en une semaine !  

Cette réussite inspire immédiatement les commerçants qui sont autorisés à fabriquer des cartes – bien entendu non timbrées, ce ne sont donc pas des entiers postaux ! – illustrées de décors et vignettes imprimés au trait en typographie.

Le format (standardisé à 9 x 14 cm par l’UPU en 1878), l’image – et un tarif postal inférieur à celui de la lettre pour autant que l’inscription manuscrite ne dépasse pas cinq mots – vont assurer définitivement l'immense popularité de ce média.  Dès 1889, la carte postale gravée par Libonis et représentant la Tour Eiffel est la plus vendue en France : 300 000 exemplaires pendant sont écoulées auprès des touristes de l’Exposition universelle cette année-là.  Cinq milliards de carte-vues du monument ont été commercialisées depuis !

1900-1920 constitue l’âge d’or de la carte postale illustrée qui devient le premier « mass-media » au monde.

Cp meteo

Carte postale imprimée en France, partie de Aix-les-Bains le 17 juillet 1908, arrivée à Uccle (Bruxelles) le 20.


Dessins, gravures, publicités, chromolithographies, photos, tout est bon pour répondre à une offre et une demande grandissantes.   Les éditeurs de cartes se multiplient, des chambres syndicales se créent, des revues spécialisées apparaissent.  On fabrique des cartes en bois, en cuir, en celluloïd, des cartes brodées, des cartes-disques (la « phonocarte »), et même une carte-pétition !  On en trouve dans de nombreuses boutiques…

Boutique cartes vues

Boutique de Huy
située selon la plaque apposée sur la façade à
« 0,1 km de la gare de Huy-sud, à 1 km de St-Léonard, à 13,5 de Ohey, à 38,5 de Dinant »
– probablement au bout de la rue Sous-le-château –,
spécialisée en « Cartes-vues Exiger la marque Nels ».

La carte est devenue un moyen de publicité et de propagande autant que de communication, remplaçant partiellement les billets-enseignes utilisés par exemple au XVIIe siècle par les arracheurs de dents du Pont-Neuf (ils les faisaient distribuer pour faire connaître leur activité et leur adresse), les jetons métalliques ou les cartes de visite imprimées avec nom, adresse et même enseigne que les commerçants de Paris distribuaient en ce temps à leurs clients.

La carte postale relègue définitivement au grenier ou au rebut les cartes porcelaine, imprimées à partir d'une lithographie et recouvertes de céruses,  dont l’industrie était florissante en Belgique au XIXe siècle.

 

carte porcelaine poste

L’une des cartes-porcelaine du Grand Théâtre de l’Opéra de Gand
qui furent adressées aux abonnés du théâtre entre 1837 et 1842, à l’occasion de la Nouvelle Année,
par le sieur Courtois, chef des Postes et Receveur des abonnements.

 

La carte postale suscite rapidement des collections par thèmes (métiers, animaux, villes, etc.) comme par usage (correspondance de guerre).

On collectionne aussi les cartes postales « privées » : photos de famille ou d'amis réalisées par des photographes professionnels. Bien qu'elles comportent les zones traditionnelles pour l'adresse et pour le message, elles sont souvent envoyées sous enveloppe de façon à protéger l'image.


cp 8 8 1916 Courbevoie     cp 8 8 1916 Courbevoie vers

Recto et verso d'une carte postale datée 8 aout 1916, lieu d'émission Courbevoie, envoyée sous enveloppe - coll. C. Van den Steen

 

cp album

Album pour cartes postales - coll. C. Van den Steen
ci-dessous vue intérieure de l'album.

cp album interieur

 

La Première Guerre Mondiale est évidemment préjudiciable à la carte postale commerciale illustrée qui va devoir attendre les années 1940 et les « congés payés » pour trouver un nouveau souffle. On en fabrique cependant d’un nouveau style, le « patriotique »…

 

Cp patriotique

 

La « simple » carte postale est cependant abondamment utilisée pendant les deux Guerres Mondiales,
soit par les soldats, en franchise militaire :

carte postale vinstock

Carte réservée à la correspondance des soldats – cachet des Postes militaires de Belgique

« Le 6 avril 1915.
Mon cher Jules,
J’ai été à Poperinghe hier dimanche 4C°. J’ai passé la journée avec Emile.

Il est toujours en bonne santé.  Je t’écrirai une lettre lorsque je serai de garde dans 2 ou 3 jours.  
Pour le moment tu peux être tranquille au sujet de l’appel des hommes dont il a été question dans ta dernière lettre. 
Bien à toi.  Aimé
»


soit par les particuliers obligés de se soumettre aux règles de port du moment :

carte postale gauthier

Carte postale adressée de Melreux (Ardennes belges) à Bruxelles pendant l’occupation,
timbres d’Allemagne 1905-1911 émis avec surcharge « Belgien – cent » à partir de 1916
pour le Territoire du Gouvernement général, cachet de la Poste militaire allemande de Liège

« Melreux 27/10/1918.
Chère Clémentine et toute la famille,
Ce jour Jules vous envoie par express
et par chemin de fer Gare du Nord à Bruxelles une caisse contenant trois pains, un peu de farine, une boîte de conserve et un peu de pomme de terre, la semaine passée il vous a envoyé aussi un pain comme colis postal
comme nous ne recevons plus de correspondance veuillez accuser réception de tout ceci chez Antoine Lecarte à Soy par Barvaux  (suite dans l'image) »

soit par les prisonniers, tenus eux aussi à des règles strictes, mais bien heureux de pouvoir communiquer nouvelles… et demandes :

carte postale simonet

Postkarte Kriegsgefangenenpost – carte postale Correspondance des prisonniers de guerre –
du 24 octobre 1940 dont le verso porte un texte rédigé en « style télégraphique »,
pour épargner le crayon, par le Lieutenant Charles Simonet, prisonnier 2788 au camp de Eichstatt.  Oflag VII B

« Mes chers,
Reçu lettre maman 17 et Lea 16.

Dites Lea expédier de suite colis suivants sans attendre avis réception
1er qui pas encore arrivé ni celui Virton, ni Arlon.
Pouvez profiter en novembre outre mon adresse celle Lalière (active)
pour 5 kgs (un peu linge + manger tabac) et autres.
Bien remarquer mon adresse obligatoire.  (…) Moral et santé bons.
Dites Lea peut pas lui répondre. Rien sujet retour mais désespéré pas avant grand froids.
Fais progrès allemand  (…) serais heureux enlever culotte.
Vous embrasse tous tout cœur.  Charles
»

Dans l’entre-deux-guerres, les gens ont eu d’autres préoccupations que de collectionner les cartes et les albums sont restés au fond des tiroirs ; les nouveaux loisirs qui sont apparus, presse illustrée, radio, téléphone, cinéma, ont accaparé leur attention.  L’édition de la carte s’est industrialisée et a donné un produit plus stéréotypé sur un support de papier généralement médiocre.

Les « congés payés » relancent l’industrie de la carte mais la qualité des cartes-vues ne s’améliore pas.  Le format change ; 10,5 x 15 cm devient courant.

Après la Seconde Guerre Mondiale, expositions, congrès, concours, publications relancent peu à peu l’intérêt des collectionneurs pour les cartes anciennes.  La quadrichromie utilisée dès les années 1960 prend le pas sur les autres formes d’impression.

De nos jours, la modernisation, voire la déshumanisation des villages et des villes, a renforcé l’engouement nostalgique populaire pour les cartes du début du XXe siècle qui constituent également une iconographie intéressante pour la recherche scientifique, le décor des cartes donnant nombre d’indications sur l’habillement, l’architecture, les mœurs…  Les cartes anciennes constituent aussi un outil de comparaison dans la conservation et l’embellissement du patrimoine. 

La carte-vue d’aujourd’hui, c’est…

« (…) un truc à nous. Un bout de carton. Des mots pauvres. Qu’on recopie. Des mots obligés, mais qui sont les nôtres au fond. Pudiques, discrets, attentionnés. La carte postale on ne l’écrit pas. On se contente de la remplir (comme un formulaire). Nous sommes sur la Côte. Il fait beau. Les enfants s’amusent. On a des coups de soleil. C’est bientôt la fin. Grosses bises. Ce n’est pas une lettre : c’est un envoi postal ?
On ne la lit pas non plus. On s’en fout bien de la lire. On sait d’avance ce qu’il y a dedans. Il n’y a même pas de surprise. (…) La carte ne nous apprend rien. On la lit à peine. Ce qui compte c’est l’objet. Le bout de carton. L’envoi. L’envoi gratuit. D’un bout de carton qui ne dit rien. Comme un geste pur. Débarrassé du trop signifiant, réduit au geste même.
Quand on la reçoit, on la regarde à peine, on la lit encore moins et on est content de savoir qu’on existe, que quelqu’un nous fait signe. Le tout c’est ce temps là que l’autre a pris. (…)  Non la carte postale c’est pudique et c’est bien comme ça. Ca ne dit pas trop, ça n’en demande pas non plus. C’est comme le matin au bureau : comment ça va ? Bien et toi ? Ca va. Personne n’aurait l’idée de répondre vraiment à de telles questions. Heureusement.
Sur le frigo on collectionne. Ou sur le buffet du salon. Chaque été on fait sa petite exposition. On expose des signes et des attentions. On sort les preuves. Les preuves de l’existence de l’autre, les signes de sa propre existence. Les vieux trop seuls font ça. Ils font les comptes. Qui pense encore à moi ? Ils exposent ça à la visite. Voyez comme mes petits enfants m’aiment, ils m’envoient encore des cartes postales. Je ne suis pas tout à fait mort. Et les mots là dedans, bien sûr les mots n’ont pas d’importance. Et même le recto, d’ailleurs. Finalement, d’une carte postale, il ne reste que le carton. Un bout de carton entre deux personnes. C’est simple et dérisoire. C’est le lien social dénudé, le fil. (…) »

Olivier Adam dans la page web aujourd'hui fermée
http://perso.wanadoo.fr/greenadine/mailomanie/lettre.html


Carte de vœux : la tradition renouvelée

Dès l’antiquité, de nombreux cultes (comme celui de Saturne chez les Romains ou celui de Mithra, né en Inde et répandu par l’Asie mineure jusqu’à Rome) donnaient lieu à des festivités le 21 décembre, date du solstice d’hiver à partir duquel le jour s’allonge.
Quand Jules César réforme le calendrier, le solstice d'hiver tombe… un 25 décembre ; cela n’empêchera pas la tradition festive de continuer à tel point que l’église chrétienne choisira ce jour comme date officielle de la naissance de Jésus.  
Après les Saturnales de décembre, les Romains fêtaient Janus, dont les deux visages regardaient l'année qui venait de finir et celle où l'on entrait. On offrait à ce dieu, le 1er janvier, un gâteau, des dattes, des figues et du miel ; on se rendait visite, on s'adressait des vœux et on offrait des présents, une coutume qui avait été autorisée par le roi Sabin Tatius (VIIIe siècle av. J.-C.), lequel avait apprécié de recevoir quelques branches coupées dans un bois consacré à la déesse de la force Strenia. Ces cadeaux, faits en signe de bon présage en un jour consacré par la religion, étaient donc appelés strena d’où vient notre mot « étrenne ».

En Europe occidentale, on a gardé l’habitude d’aller visiter, les premiers jours de janvier, les membres de sa famille, ses voisins, ses amis, et d’offrir vœux et étrennes. Les visites (par suite d’un certain relâchement des liens familiaux, de la distance plus grande entre les membres de familles souvent dispersées, de la contrainte parfois) vont être progressivement remplacées par le dépôt d’une carte de visite agrémentée de vœux, par l’expédition d’une lettre ou par l’envoi d’une carte. 

Il semble que la première carte, avec mention de vœux, soit née en 1843 de l'idée de Sir Henry Cole, conservateur du musée Victoria et Albert de Londres.  
Trop occupé pour adresser personnellement ses meilleurs souhaits…, il demanda au jeune artiste John Calcott Horsley de lui dessiner une carte sur laquelle serait gravé "Merry Christmas and Happy New Year". L'artiste lui dessina une lithographie qui fut reproduite à 1 000 exemplaires colorés à la main.

Firstchristmascard

Crédit d'image : Shizhao

Une nouvelle tradition était née qui n’aurait pas existé sans la Poste et le timbre-poste.

En 1847 apparaissent les messagers parisiens :

« Cette administration, qui dépendait de celle de la poste, tenait aux ordres du public, le jour du premier de l'an, des hommes en belle tenue, tout de noir habillés, et ayant l'épée au côté, qui, moyennant deux sols par course, allaient porter les cartes de visites ou s'inscrire aux portes pour les personnes. »

« Lemierre, poëme des Fastes, chant 1er, notes, p. 18 » cité par Édouard Fournier dans
Le vieux-neuf. Histoire ancienne des inventions et découvertes modernes, T. II, E. Dentu, Paris, p.123.

La carte de vœux peut être une simple carte postale ou un carton, envoyé sous enveloppe, de format variable selon la mode ; dans les années 1930, par exemple, on préférait les mignonnettes, mini-cartes illustrées adressées.

À partir du XXIe siècle, l’envoi de cartes diminue fortement face à la concurrence du courrier électronique et des SMS (short message services téléphoniques).  Finies les longues soirées passées à calligraphier les adresses de son carnet…