Notice sur les frères Alphonse et Victor Plumier

Nicole Hanot
Mise en ligne 1er avril 2013

Alphonse Plumier

Guillaume Alphonse Plumier, dit Alphonse Plumier, est artiste-peintre et âgé d’une vingtaine d’années quand il rencontre à Paris Charles Louis Chevalier, et devient son élève, entrant ainsi dans le monde naissant de la photographie car le père de Chevalier1 est à l’origine de la rencontre, en 1826, de Joseph Nicéphore Niépce qui a réalisé cette année-là la toute première photographie et de Louis Jacques Mandé Daguerre, peintre et décorateur de théâtre qui utilise la chambre obscure dans son travail et qui a inventé le daguerréotype.

Dans ce milieu de chercheurs passionnés soutenus par l’engouement du Tout-Paris, Alphonse Plumier fait ses classes, apprend le daguerréotype et s’installe rue Vivienne n° 36 dès avant 1843.

C’est dans cette rue, qui commence au Palais-Royal, en plein cœur de Paris, que l’éclairage au gaz a été expérimenté pour la première fois en 1816 ; c’est au n° 18 qu’on trouve depuis 1814 la librairie A. & W. Galignani qui va diffuser les premiers traités de photographie ; c’est au n° 48 qu’Auguste Mestral va tenir ses sessions photographies en 1848.  Au 36, s’est installé outre Plumier, le couple de photographes Guillot-Saguez.

Victor rejoint son frère rue Vivienne et va y vivre de longues années.

Tous deux ouvrent en 1844 un atelier de photographie à Paris, boulevard Bonne Nouvelle 9, à l’endroit même où s’établira Chevalier de 1849 à 1857.  
L’étiquette collée au dos de leurs daguerréotypes donne leur raison sociale « Alphonse Plumier & Cie », indique qu’ils colorient les anciens portraits et qu’ils donnent des leçons.
  

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Daguerréotypes d’Alphonse Plumier & Cie et étiquette imprimée collée au dos des cadres
Sources : à g. gallica.bnf.fr, à d. musée d’Orsay.

Leur maison va devenir l’une des plus en vogue jusqu’en 1850, et on connait au moins une personne qu’ils ont formé : N. Flamand indique dans son annonce de passage à Namur en septembre 1844 : « M. N. Flamand, artiste daguerrien, élève de M. Alphonse Plumier, membre de l’Académie de l’industrie française à Paris (…) ».  Les prix sont raisonnables pour les gens aisés mais inabordables pour ceux de condition modeste car les 13 à 15 heures journalières de travail rapportent à peine 2,50 francs à l’ouvrier et 1,50 à l’ouvrière.

Dès 1843, Alphonse participe à une exposition de photographie avec des portraits aux « couleurs naturelles » ; ce type de manifestation, qui va aboutir aux expositions internationales de photos, lui permet de se faire connaitre.
La même année, laissant Victor, 22 ans, gérer l’atelier parisien, Alphonse revient à Liège ; il a 24 ans et est l’un des premiers à introduire le daguerréotype en Belgique.

Il ouvre en 1844 son propre atelier, d’abord à l’actuel n° 13 de la rue Basse-Sauvenière et 7 ans plus tard achète une maison à porte cochère sise au n° 18.

La rue Basse-Sauvenière, à cette époque, est une artère importante où habitent notables politiques, hommes de lois, gens d’église et bourgeois.  Les façades arrière des maisons du côté sud donnent sur un méandre de la Meuse, canalisé depuis le Xe siècle et dont la berge de la rive gauche a été assainie depuis 1808, donnant un quai orné de tilleuls et formant promenade. En 1844, le canal est comblé formant un tout nouveau boulevard. Une situation idéale pour un type de commerce qui va concerner des gens cossus.

Fussel canal sauveniere

Joseph Fussel, Le canal et le quai de la Sauvenière, ca 1837, gravure sur acier coloriée
in La Belgique et Nassau ou le touriste continental, Londres Black et Armstrong, s.d. - collections artistiques de l’Ulg.

Alphonse s’associe brièvement – de janvier 1844 à octobre 1845, dans un cabinet vitré de l’armurier Étienne Lassence, place du Spectacle (actuelle place de la République française) – à Félix Weitelsbach (ou Wittelbach) puis développe son commerce par l’ouverture, dès 1844, d’un studio temporaire à l’Hôtel des Pays-Bas de Spa – comme le faisaient souvent les daguerréotypes itinérants -, puis en 1849 d’un studio à Bruxelles, rue Montagne de la Cour n° 69bis qu’il transfère en 1850 dans la Galerie de la Reine (n° 23 ou 28), inaugurée depuis à peine trois ans, et où il opère jusqu’en 1856 ; il y pratique la miniature photographique pour des prix allant de 5 à 25 francs. Il réalise le portrait du ministre Jules Van Praet et le colorie à la main mais l’étiquette, au dos de l’œuvre, indique qu’il fait aussi des photos sur papier.

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À gauche : photo réalisée dans le studio de la Galerie du Roi
À droite : photo réalisée dans le studio de Liège avec mention au verso « Alphonse Plumier photographe breveté du Roi et de S.A.R. le Duc de Saxe Cobourg-Gotha » et blason Armes de la Belgique.

De novembre 1856 à 1862, il a deux magasins à Bruxelles, en association avec J. Nysten, l’un Galerie du Roi 27, l’autre rue de l’Écuyer 57 ; il colorie les photographies à l’huile ou à l’aquarelle « ce qui semble devoir aujourd’hui surpasser les prodiges des portraits en peinture »2.

Plumier et Nysten emploient du personnel comme l’atteste un jugement rendu par le Tribunal de Liège en 1865, portant sur le respect d’un contrat d’emploi qui prévoyait un engagement à vie de la part d’un ouvrier de ne pas se livrer, en Belgique, à la même industrie que son maitre sous peine de devoir payer à celui-ci une somme déterminée.  L’ouvrier Lassence, en l’occurrence, qui avait travaillé tant dans l’atelier de Bruxelles que dans celui de Liège, se voyait réclamer le montant de 20 000 francs ! La Cour considéra que la location d’un ouvrage à vie était contraire à l’ordre public et à la liberté industrielle ; Plumier interjeta appel en vain car les juges d’appel validèrent le premier jugement.

En aout 1853, Plumier a ouvert un autre atelier à Anvers, rue des Tanneurs n° 1057, dont s’occupe un certain Joseph Dupont qui va plus tard reprendre le studio pour lui-même. 

Alphonse Plumier a le sens des affaires et diversifie ses services, travaillant le daguerréotype noir ou colorié sur métal ou le calotype sur papier, affirmant sur ses cartons publicitaires opérer « par tous les temps » à une époque où une bonne luminosité est encore indispensable à la photographie.  Et il fait commerce des appareils daguerriens comme des plaques et des produits photographiques, fournissant aussi passepartouts et encadrements. Car la photo, à cette époque, étant devenue pour les nouveaux riches l’équivalent du portrait peint, peut être comme lui mise en valeur par un encadrement adapté dont la sobriété ou la richesse traduit le désir de l’acheteur.

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Alphonse Plumier, Portrait d’une femme non identifiée – Collective cataloging tool for daguerreotypes, Nederlands Fotomuseum

Alphonse Plumier, Portrait d’un homme non identifié – Prentenkabinet de l’Université de Leiden

Comme nombre de photographe de l’époque, il effectue ses propres recherches et dépose le 3 décembre 1849 un brevet pour « un nouveau procédé photographique » car il utilise des vapeurs d’ammoniaque pour sensibiliser les plaques daguerriennes.  Le 12 juillet 1855,  un autre brevet indique qu’il a mis au point un procédé propre à obtenir des portraits et dessins photographiques de toute grandeur, en utilisant de la glace collodionnée ; ce procédé amène un développement et le dépôt d’un nouveau brevet complémentaire le 3 décembre 1857.

Grandeur nature... Cela fait rêver alors que la mode est plutôt à la miniature.  Le peintre belge Antoine Wiertz, qui travaille préférentiellement sur de grands formats, ne peut qu’être séduit :

« M. Plumier, notre habile photographe, un de ces hommes de la race des esprits chercheurs qui honorent quelquefois leur pays par quelque découverte, M. Plumier vient d’inventer le moyen de produire des dessins photographiques représentant des objets grands comme nature ! De plus, le moyen nouveau est tel qu’il peut à volonté reproduire dans toutes les dimensions imaginables… Intelligence humaine, marche toujours ! va, marche !  »3

Alphonse s’est spécialisé dans le « portrait après décès à domicile » et a fait d’ailleurs, en avril 1852, celui post-mortem de Corneille Van Bommel, évêque de Liège, portrait qui, reproduit en lithographie à 60 000 exemplaires, a été distribué aux enfants des écoles du diocèse selon le souhait du prêtre.  En réalité Plumier réalise au moins deux photographies de l’évêque : l’une va être imprimée en in-4° et tirée à 4000 exemplaires mais ne va pas être beaucoup diffusée ; l’autre, une vue de trois-quart, est tirée à 600 exemplaires mais une centaine seulement est vendue car bien qu’elle reproduise « parfaitement les traits du prélat mort, ne donne cependant pas la ressemblance réelle. »  Un portrait est aussi exécuté d’après un daguerréotype de Plumier et terminé par M. de Vacher (Bruxelles) ; il est tiré à 800 exemplaires dont certains sont soigneusement coloriés à l’aquarelle.4

Au mois d’aout de l’année suivante, Alphonse photographie la visite du roi Léopold Ier à Liège. 

De 1854 à 1856, ses magasins de Liège, Anvers et Bruxelles assurent le dépôt général pour la Belgique5 des quelque 555 photographies différentes, regroupées en 24 séries, produites en milliers d’exemplaires par Louis Désiré Blanquart-Évrard qui a créé à Loos-lès-Lille, en 1851,  l’« imprimerie photographique » appliquant un procédé de son invention qui permet la multiplication des épreuves et met l’image photographique à la portée du plus grand nombre.  Gardant des contacts actifs avec la communauté photographique française, Alphonse Plumier est aussi correspondant belge du périodique français La Lumière.

En 1855, il est le seul photographe de la section belge à obtenir une mention honorable à l’exposition photographique de Paris et il obtient une médaille de bronze à celle d’Amsterdam.

À partir de septembre 1859, il réalise des portraits-cartes de visites sur lesquelles figure d’abord le seul timbre sec (empreinte frappée sans encre) « A. Plumier », puis dès l’année suivante le timbre « Photographe breveté du Roi et de S. A. R. le Prince de Saxe-Cobourg-Gotha ».  Il est l’auteur de la plus ancienne carte de visite conservée en Belgique (au Musée Royal de l’Armée6), portrait du capitaine des carabiniers François Dering réalisé entre le 2 septembre (date de promotion) et le 14 octobre 1859 (date de décès).

Vers 1860, il réalise un daguerréotype colorié d’un couple ; on considère généralement qu’il s’agit du compositeur russe Modeste Mussorgski et d’une de ses amies – peut-être la cantatrice Daria Léonova qu’il accompagna dans ses tournées7

Peintre lui-même, Alphonse Plumier est amateur d’art et a collectionné quelque 193 tableaux qui sont dispersés en vente publique d’octobre 1872 à Bruxelles – probablement en raison de difficultés financières.
Il est probable qu’Alphonse Plumier assiste, le 10 octobre 1875, au banquet de la section liégeoise de l’Association belge de Photographie dont le menu est établi comme suit :

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Menu aimablement communiqué par M. Jacques Guilmin
de l'Association belge de photographie et de cinématographie.

Alphonse Plumier décède en 1877.  Sa veuve, Jeanne-Émilie Monseur, garde l’atelier liégeois ouvert jusqu’à sa reprise par Léon Dorée (dit Léon Dorée-Plumier) qui a épousé leur fille en 1878.

Galerie

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Alphonse Plumier, daguerréotype annoncé comme la photographie de
Modest Moussorgsky (et de la cantatrice russe Daria Léonova ?), circa 1857-1858.
coll. Dandrew-Drapkin, exposé en 2012 au Museum of Fine Arts de St-Petersbourg, Floride, USA

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1845

1850


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s.d.

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Daguerréotype par Alphonse Plumier - coll. Van den Steen.

 


Notes

1 Vincent Jacques Louis Chevalier, ingénieur-opticien français issu d’une longue lignée d’ingénieurs-opticiens.

2 Revue des races latines : française, belge, algérienne, espagnole, portugaise, italienne, autrichienne, roumaine, brésilienne, et hispano-américaine, Paris, p. 279.

3 Antoine-Joseph Wiertz, Œuvres littéraires, 1870, p. 310.

4 Ulysse Capitaine, Notice sur R.-C.-A. Van Bommel, évêque de Liège,  3e éd. , imp. J.-G. Carmanne, Liège, mai 1853, p. 93 et 94.

5 Jean-Claude Gautrand et Alain Busine, Blanquart-Évrard, Centre régional de la photographie Nord-Pas-de-Calais, 1999, p.37.

6 Référence d’inventaire Dga 15062.

7 Jean et Brigitte Massin, Histoire de la musique occidentale, Fayard, 1987.

 


 

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