En mémoire des postiers hutois

Sabine Bordon1
Mise en ligne 30 novembre 2016

Invitation livre Bourdon 

Entouré d’une collection d’objets qui racontent à la fois l’histoire de l’écriture et celle de la poste, collection unique puisque le musée de la Poste de Bruxelles a fermé ses portes2, un public attentif et chaleureux a participé, ce dimanche 27 novembre 2016, à la présentation de Sheikh mat, le roi est pris suivie d’une cérémonie mémorielle.

Les postiers de Bruxelles font partie du récit et partant, le choix de ce lieu symbolique. L’engagement de tous les employés de la poste durant la Seconde Guerre mondiale et leur mémoire qui passe inaperçue a été mis en évidence. Leur engagement revêt diverses formes : les trieurs glissent des lettres dans les poches de leur tablier gris, les facteurs avertissent sans perdre une seconde les hommes convoqués au Service du Travail Obligatoire, les percepteurs ferment les yeux lorsque des journaux clandestins se glissent dans les sacoches de cuir, les employés affectés à la levée des boites allègent leur sac de quelques enveloppes. Chaque lettre compte. Ils ouvrent le courrier des dénonciateurs, préviennent leurs victimes, ils interceptent les lettres destinées aux Belges qui ont choisi de trahir leur pays sur le Front de l’Est, ils se mettent en grève, ils ralentissent la communication entre l’cccupant et la population.

Ces employés de la poste contrarient, sans violence, l’État policier qui compte sur ce courrier pour étrangler la résistance.

Nous avons mis à l’honneur deux postiers hutois, Henri Graindorge et Louis Martin, dont les patronymes ont été gravés, il y a plus de 70 ans, dans du marbre blanc et rehaussés d’or. Henri Graindorge et Louis Martin sont deux destinées frappées par le régime dictatorial de l’occupant nazi.

Entree musee avec stele fle

Cette stèle honorant la mémoire des deux postiers a été sauvée lors de la fermeture des portes du bureau de poste de Huy 1. A l’occasion du dévoilement de cette pierre qui sera désormais placée à côté de l’entrée du musée, j’ai effectué quelques recherches.

Au SVG, Service des Victimes de Guerre, on a pu retrouver le dossier d’Henri Graindorge. La farde n’est pas bien fournie mais comporte un document poignant, à savoir un petit formulaire d’avis de recherche publié dans les quotidiens par le Ministère de la Reconstruction (chargé d’enquêter sur le sort des personnes portées disparues) qu’un père a rempli au crayon bleu.

 Henri Graindorge fiche rech

Ce petit bout de papier découpé à la hâte a 70 ans. Monsieur Graindorge cherche désespérément son fils dont le corps n’est pourtant pas bien loin de chez lui. Une photo d’identité agrafée à une fiche jaunie nous offre le sourire d’Henri en uniforme de postier.

 Henri Graindorge photo iden

D’après les notes de l’employé du Ministère, il aurait été incarcéré à la citadelle de Huy puis « libéré de vive force ». Ces informations ne peuvent malheureusement pas être corroborées par les archives de la Citadelle.

Une autre trouvaille (merci Google) m’a permis de compléter son histoire. Au lendemain de la guerre, Melchior Micin a rassemblé les événements de la tragédie de Forêt-Trooz dans une brochure éditée au profit d’un monument commémoratif des 56 membres de l’Armée Secrète assassinés par la Wehrmacht en déroute alors qu’ils se rendaient faute de munitions. Le nom et une photo d’Henri portant son képi de postier y figurent.

Quant à Louis Martin, nous devons d’abord reprendre les témoignages locaux3 qui rapportent que Louis Martin, son épouse et ses deux fils furent victimes de « la politique des otages », une politique de représailles (et lâche) à l’encontre la population civile en cas d’attentats terroristes perpétrés par un groupe résistant.

 Louis Martin registre ecrou

Le registre des écrous mentionne bien Louis Martin, mais aucune trace de ses fils. Une action menée par un groupe de résistants communistes est à l’origine de son arrestation. Il reste quelque temps à la citadelle puis est emmené à la Sipo-SD4. La Wehrmacht chargée de l’arrestation en masse remet les hommes à la Sécurité de l’État.

Nous pouvons envisager le scénario suivant : une fois dans les griffes de la SD, sa famille est arrêtée et déportée avec lui. Louis est envoyé à Buchenwald mais en revient avec un de ses fils. Madame Martin et leur autre fils ne reviendront pas. Il reste quelques pistes que j’aimerais explorer pour compléter leur histoire. Si les morceaux du puzzle dorment quelque part, il est temps de les réveiller afin de raviver la mémoire des Martin.

Pour terminer, je tiens à souligner que les postiers de Bruxelles eux-mêmes ont pris l’initiative de préserver le souvenir de tous leurs collègues de Belgique victimes des Nazis. Un tour de force. Le témoignage de Désiré Piens est précieux.

 Desire Piens Postiers Breen

Il a entrepris avec succès de consigner leurs actions, leur détention à Breendonk et surtout la liste détaillée des postiers tués et les circonstances de leur mort. Dans ce « Martyrologe », on retrouve Henri Graindorge dans la catégorie des postiers tombés au combat.

Son travail m’a beaucoup servi et inspirée, je lui en suis reconnaissante.

Je tiens à remercier madame Hanot pour son aide, sa passion et ses recherches qui complètent cet article.

 


Notes et références

1 Sabine Bordon, traductrice et traductrice et rééducatrice graphique, auteure de Sheikh mat, le roi est pris, éd. le Livre en papier, 2016.
Rien ne prédisposait cette traductrice à traiter le thème de la Résistance – sauf sa capacité d’écoute et l’affection qu’elle portait à son grand-père. Celui-ci a su trouver les mots qui ont éveillé sa curiosité et l’ont lancée dans la recherche de son histoire familiale – une de ces petites histoires qui mises bout à bout permettent d’appréhender concrètement l’histoire avec son H majuscule. Madame Bordon est désormais reconnue chercheure associée au CEGESOMA, le centre d’expertise belge pour l’histoire des conflits du XXe siècle. - retour au texte

2 Créé sur papier en 1931, le Musée de la Poste de Bruxelles fut installé en 1936 au n°162 de l'avenue Rogier puis, de 1972 à 2003, dans l'ancien hôtel particulier des princes de Masmines, place du Grand Sablon, qui servit aussi aux défilés des collections du maitre fourreur Mallien. Ses collections furent dispersées en 2003, partie dans les caves des Musées royaux d'Art et d'Histoire du Cinquantenaire, partie à Lessives où Belgacom a possédé jusqu'en 2007 un important centre de télécommunications. - retour au texte

3 Dont celui du Hermallien Jean Mossoux, recueilli en 2014 par Nicole Hanot, auteure de la carte ci-dessous, dans le cadre de ses recherches sur l'occupation allemande à Hermalle-sous-Huy durant les deux Guerres mondiales. Monsieur Mossoux lui expliqua que des résistants ayant fait sauter une vedette allemande amarrée dans la Meuse, au pied de la colline du Thier d'Olne, à proximité du chantier naval Jambon d'Ombret, les Allemands se saisirent de la famille Martin – père, mère et deux fils. Tous furent envoyés à Buchenwald ; seuls en revinrent le père et l'un des fils. Jean Mossoux assista au retour du père, Louis, toujours vêtu de son uniforme de prisonnier.

carte NH 1940 45

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4 Sipo-SD = Police de sûreté et des services de sécurité du Reich.
Sicherheitspolizei (« Police de sûreté »), abrégé en Sipo, est l'appellation de la Police de Sécurité allemande, créée en 1936 par Heinrich Himmler, qui comportait deux sections : la « Gestapo » (Geheime Staatspolizei), service de police politique du Reich et la « Kripo » (Kriminalpolizei), police judiciaire.
Le Sicherheitsdienst, abrégé en SD, était le service de renseignements de la Schutzstaffel, dite « SS ». - retour au texte