Le cor de poste et la famille Willot

Paul Willot
Mise en ligne 14 aout 2017

  Willot stele detail

Détail de la stèle funéraire du maitre de poste François Alexandre Williot

En avril 2017, M. Paul Willot nous contacte pour obtenir de la documentation sur les malles-poste belges entre 1650 et 1800. Des raisons de santé ne nous permettant pas de l'aider, nous lui conseillons d'écrire au dernier conservateur du musée de la Poste de Bruxelles, Michel Mary, et au postier de Wervick qui a fait des recherches sur les messagers de sa région, Luc Decorte.

Voici l'article que Monsieur Willot rédige et nous autorise à publier :


Cor de poste ou cor de postillon

par Paul Willot

Le postillon annonçait 1 le passage de la malle-poste à grands renforts de coups de cor de poste 2 pour assurer son passage prioritaire, pour annoncer au relais de poste l'arrivée ou le départ du courrier ou encore pour lancer un signal d'alarme.

La famille princière Tour et Taxis spécialisée dans l'organisation des courriers (diplomatiques et autres) avait adopté ce symbole qui, par la suite, a été repris par les postes de nombreux pays.

Les Will(i)ot, nos ancêtres directs 3, maitres de poste à Quiévrain et à Casteau (Hainaut) sur le trajet de Paris à Bruxelles de ca 1650 à ca 1800, avaient adopté ce symbole. Il figurait leur profession 4 mais rappelait également l'initiale de leur nom de famille. On retrouve ce symbole sur différents bâtiments qui leur appartenaient.

 stele Francois Alexandre Williot 

Stèle funéraire d'Alexandre Williot
et de son épouse dans le chœur de l'église de Casteau.


En 1738, la malle-poste de Bruxelles partait de la rue Saint-Denis à Paris à hauteur du couvent des Filles-Dieu, tous les mercredis et samedis (matin) et arrivait à Bruxelles en été le lundi et le vendredi, et en hiver le mardi et le samedi 5. Les sieurs Façio et Corroyers, associés, situés « au Chariot d'Or » rue Darnetal 6 à Paris assuraient, entre autres destinations, les relations entre Paris et Bruxelles . C'est à cette entreprise qu'il fallait s'adresser.
Ce trajet représentait environ 350 km. Les malles-poste faisaient donc, selon les saisons, de 50 à 60 km par jour.

Arrivant de Péronne, Cambray et Valenciennes (voir carte), la malle-poste sortait du territoire actuel de la France à Quieurin (Quiévrain), faisait halte à Gargno (Quaregnon), probablement contournait Mons par le sud, faisait halte à Chau (Casteau), à Braine-le-Comte 8, Tubize et Bruxelles.

valencienne Bruxelles en 1632

Carte géographique des Postes qui traverses la France
[établie par Nicolas Sanson], Paris, Imp. M. Tavernier, 1632
Cote 10-1-18 Bibliothèque nationale

Les chevaux et l'équipage se relayaient de postes en postes. Le postillon qui dirigeait l’attelage à grande vitesse et en totale priorité revenait ensuite paisiblement 9 à son poste de départ avec ses montures. La distance qui séparait deux postes était d'environ deux lieues soit environ 9 km 10. Cette distance entre deux postes s'appelait « une poste » 11.

Le maitre de poste était lié par contrat avec l'autorité et devait assurer promptement le relais de poste c'est à dire principalement le renouvellement des attelages.

Le relais de poste constituait un petit pôle économique. Il assurait l'entretien des chevaux et des attelages. Cela supposait des terrains de culture 12 pour nourrir les bêtes, des lieux d'hébergement et de restauration, des artisans réparateurs (charrons, bourreliers, maréchaux-ferrants, etc.) et du personnel d'entretien des bêtes et des installations, etc.

Le maitre de poste était un personnage important et influent.

Selon une tradition familiale 13,

« lors du passage de Napoléon aux relais de Quiévrain-Casteau fait en un temps record, l'Empereur envoya au maître des postes en témoignage de reconnaissance une paire de chandeliers en argent. Ces chandeliers échurent par héritage à l'ainée de la succession de Joseph Williot, maître des postes à Quiévrain. Madame Veuve Dujardin-de Witte, de la Sucrerie de Seclin-lez-Lille les détient par héritage actuellement ».

Les mêmes auteurs mentionnent également que le relais de Quiévrain fut aussi le théâtre en 1816 de l'évasion célèbre de Lavalette 14, un proche de Bonaparte : « Après avoir quitté Valenciennes, la berline dans laquelle a pris place le fugitif revêtu d'un uniforme de général anglais, s'engage sur la route de la Belgique. Elle approche de la frontière. Encore une lieue et demi. Par la lucarne, Lavalette regarde s'il n'est point poursuivi. À chaque tour de roue son impatience augmente. Son généreux compagnon, Wilson 15, se sent gagné par une sorte d'effroi. Le jour est levé depuis deux heures ; les dépêches peuvent être transmises. Enfin le postillon montre à l'horizon une grande bâtisse. C'est la Belgique. C'est Quiévrain !

Un dernier arrêt au poste de gendarmerie : « Général anglais 16 » répète Wilson encore une fois. Et ils passent.

La frontière franchie : « Vous voilà sauvé ! » dit Wilson. Lavalette lui serre les mains, essaie d'exprimer toute sa gratitude. Pendant quelques minutes on n'entend plus que le trot des chevaux, le claquement du fouet, le grincement des roues sur les chemins de Belgique…

À ce moment même, la dépêche suivante arrivait à Valenciennes :
« Surveillez et arrêtez la personne dont le signalement peut ressembler à celui de Lavalette et qui voyage avec le général anglais Wilson. Elle porte l'uniforme de « général anglais » et a un passeport de l'ambassade d'Angleterre ».
Cette dépêche signée Decazes 17 et arrêtée la veille par la chute du jour à quelques lieues de Valenciennes n'avait pu être transmise plus tôt à cause du brouillard 18.
Le 9 janvier 1816, l'ancien Mamelouk de Buonaparte était exécuté en effigie en place de Grève » 19.

*
* *

En 1845, soit 15 ans après l'indépendance de la Belgique, c'était toujours un Willot 20 qui était maitre de poste à Quiévrain.

 


 

NOTES

1 : Voir sur le site de la Poste suisse les différents usages et sonneries (sic) du cor de poste. – retour au texte

2 : Selon l'aimable communication de Monsieur Géry Dumoulin du Musée des Instruments de Musique (MIM) de Bruxelles :

« Ce qui différencie les cors de poste des cors de chasse est essentiellement la taille. On peut en trouver des droits (plutôt fréquents en Grande-Bretagne) ou de forme arrondie, le tube étant généralement enroulé plusieurs fois sur lui-même. Ils sont accordés dans différentes tonalités, les plus fréquentes étant ut, sib et fa. Les cors de chasse – ou trompes de chasse – ont le plus souvent une forme arrondie beaucoup plus grande ; leur tonalité la plus courante est ré. Suivant les modèles, le tube est enroulé d’une fois et demie à trois fois et demie sur lui-même.
Certains font une différence entre cor et trompe de chasse, réservant ce dernier terme aux seuls instruments de vénerie et le terme de cor de chasse aux instruments des musiques militaires ou aux « cliques ». Il existe une assez grande confusion terminologique dans le domaine des cors et certaines dénominations sont interchangeables. Mais dans tous les cas, il s’agit de cors naturels (sans mécanismes), dont il existe une grande variété de types. Le pavillon d’un cor de chasse est souvent plus évasé et large que celui d’un cor de poste (on dit aussi cor postal, cor ou cornet de postillon, etc.). » retour au texte

3 L'auteur est le petit-fils de Louis Archange Willot et d'Alice Laurent du hameau de Puhain, commune de Rebecq. Mes parents et grands parents ignoraient certainement que leurs ancêtres étaient maîtres de postes à Quiévrain et à Casteau. retour au texte

4 Il s'agit sans doute plutôt d'un symbole professionnel que d'un blason familial. retour au texte

5 Almanach royal année MDCCXXXVIII. Paris, Imprimerie de la Veuve d'Houry, rue de la Harpe, au Saint-Esprit, p. 382retour au texte

6 Cette rue semble ne plus exister actuellement. retour au texte 

7 Almanach royal année MDCCXXXVIII. Paris, Imprimerie de la Veuve d'Houry, rue de la Harpe, au Saint-Esprit, p. 395retour au texte

8  Le relais était situé au carrefour de la Genette sur le territoire de la commune de Rebecq. Le Nouveau Régime le ramena à Braine-le-Comte. Voir s.a. La Poste sous le régime français. in Le Rewisbique, revue du Cercle d'Histoire et de Généalogie de Rebecq. bulletin n° 19, 2005, p. 2-17.retour au texte

9  C'était une obligation réglementaire. retour au texte

10  Cela signifie concrètement que les attelages étaient renouvelés tous les 9 km. retour au texte

11  Nouveau Larousse Illustré en 7 volumes (1910 ?) et Petit Larousse Illustré (1994).retour au texte

12  En 1722, Jean Charles Williot maitre des postes de Quiévrain, signe un bail à ferme avec l'abbaye Saint Eloi de Noyon pour disposer des terres de culture dont il a besoin. En 1756, Alexandre Willot, maitre des postes à Casteau loue des terres à un particulier.retour au texte

13  Tradition familiale rapportée en 1966 par Anne et Paul Meurice et Jean-Michel Pardon. Généalogie de la famille Willot, 1966, p. 21.retour au texte

14  Antoine-Marie Chamans, comte de Lavalette. Né et mort à Paris (1769-1830). Il était en 1789 bibliothécaire à Sainte-Geneviève. Il s'éprit des idées nouvelles mais en repoussant les excès révolutionnaires. Il défendit la royauté au 10-Août, puis s'engagea dans l'armée des Alpes. Il devint aide de camp de Bonaparte, qu'il suivit en Italie et en Égypte. Au lendemain du 18 Brumaire, il fut envoyé en Saxe comme ministre plénipotentiaire. Directeur des Postes, conseiller d’État, il fut révoqué en 1814, mais reprit ses fonctions aux Cent-jours. Aussi fut-il arrêté au second retour des Bourbons et condamné à mort. Grâce au dévouement de sa femme, il s'évada et se réfugia en Bavière où il resta cinq ans. Une ordonnance royale annula sa condamnation et permit son retour en France. Il laissa des Mémoires (extrait du Nouveau Larousse Illustré ca 1910).retour au texte

 Lavalette Pere Lachaise

L'Évasion de Lavalette (vers 1834), bas-relief anonyme ornant sa tombe. Paris, cimetière du Père-Lachaise

15  Sir Robert Thomas Wilson (1777-1849), général anglais. Il se rendit à Paris après l'abdication de Napoléon et prit part à l'évasion du comte de Lavalette qu'il accompagna jusqu'à Mons. Arrêté à son retour à Paris, il fut condamné à trois mois de prison (extrait du Nouveau Larousse Illustré en 7 volumes ca 1910)  retour au texte

16  Nous sommes peu de temps après Waterloo (18 juin 1815).retour au texte

17  Élie Decazes (1780-1860), Homme d’État français. En juillet 1815, Préfet de police et en septembre ministre de la police générale. (extrait du Nouveau Larousse Illustré en 7 volumes ca 1910).retour au texte

18  Probablement, le mauvais temps a-t-il empêché le fonctionnement efficace du sémaphore.retour au texte

19  Cité par Anne et Paul Meurice et Jean-Michel Pardon, Généalogie de la famille Willot, 1966, p. 23. La version éditée par Hachette est légèrement différente : J. Lucas-Dubreton, L'évasion de Lavalette, Paris, Hachette, 1926, 12 x 19 cm, p. 109 à 112.retour au texte

20  (H.) Tarlier, Almanach officiel de Belgique. Année 1845. Bruxelles, Librairie Polytechnique, p. 445.retour au texte