Les Zharicots

Carlo Tibre
dans Le Claque à fond, n° 14, mai 1917

Introduction : Nicole Hanot

 

Le Claque à fond fut le journal des tranchées de la 7e Brigade belge, pendant la guerre de 1914-1918, paru irrégulièrement toutes les quinzaines. D'un format de 36 cm de haut x 23 de large, c'était une sorte de stencyl rédigé à la main.

Il arrive parfois qu'il est mensuel et bimensuel. Il est même souvent trimestriel.

L'abonnement pour un an coutait 2,50 francs aux militaires, 5 francs aux civils. Les articles, abonnements et dons devaient être adressés à Henri Hoolandts, C 143- ar.belge.

 

zharicots

 

Son numéro 14 traite fort largement des haricots ; voici copie (respectant l'orthographe du scripteur) de cet article :

Les zharicots sont entrés en guerre avant les Etats-Unis, Cuba et le Brésil et personne ne leur en a su gré. Ah! s'ils avaient pu rester neutres, ceux-là ! C'est que nous, le peuple de « jasses », préférions conserver comme alliés directs nos sincères, réconfortantes et savoureuses papates...

Vous souvenez-vous de l'âge d'or aux tranchées, de ce temps où une large platée de pommes de terre saucées de lardons fondus et d'oignons rissolés, aromatisées d'un bouquet de thym et arrosées d'un filet de vinaigre, nous mettaient le chaud au ventre ? Vous souvenez-vous de nos grondements, de notre révolution pacifique alors que les onctueux canadas furent remplacés par des zharicots de toutes couleurs et durs comme des pépins d'orange ? Mais dans la préface de la Sagesse des Nations, il est dit qu'on s'habitue à tout, même à ses misères et, en guerre, nous le croyons.

Cependant, les zharicots veulent se faire estimer. Après que nous les avons mâchés, avalés, ils font pour cela beaucoup de bruit autour d'eux. Les échos répètent leurs discours et leurs fanfares sonores. Malheureusement pour nous, incorrigibles bavards, cette propagande les fait détester davantage.

Ce sont parfois des plaintes que ces malheureux exhalent. Ils disent : « Est-ce notre faute si vous nous méprisez ? Nous préférons même ne pas être mangés. Laissez-nous croître et multiplier. » Un autre, celui qui lisait les journaux, ajoute « Que n'a-t-on pas eu un dictateur de la pomme de terre ? » Mais la voix juste du maréchal de l'Intendance rugit à tous : « Pouvait-on savoir qu'un froid terrible allait geler nos tubercules et les rendre aussi doux que des caramels ? »
Alors nous nous sommes tus et avons encore supporté cette perte de patates... pour la Patrie. Fiers de résister au brouet spartiate nous crions : « Vivent les faillots pour la faillite des Boches ! »

Du fait nous ne récriminons plus.

D'ailleurs nous aurions tort, on nous fait broyer plus de variétés de graines que de pommes de terre. Il y a les zharicots, les faillots, les fèves, les lentilles, les févroles [sic], même les « bône ».

Vous voyez je suis du parti des blagueurs, que je sais le plus cafardicide. Il reste bien quelques « jasses » encore dont l'estomac n'est pas de fer et qui braient comme des ânes.
- Hélàs toujours des zharicots. C'est malheureux de ne plus jamais recevoir de patates...
Mais il est toujours un jasse de mon parti pour répondre violemment :

- On en reçoit encore trop même.
- Tu dis ? On en reçoit ?
- Puisque c'est la purée tous les jours !
- Tu peux blaguer, mais les zharicots kakis, c'est d...
- Ce soir c'est pas des kakis, c'est des fèves du Congo.
- Du Congo ?
- Oui, c'est des zharicots noirs !....

En 4e (et dernière) page de ce journal, se trouve également une

Recette pour blanchir les haricots noirs

Trempez les haricots pendant 13 jours dans une solution de vitriol et de jus de palmier. Laissez-les sécher au soleil. Les haricots deviendront blancs comme du lait. Mais, si par hasard ils gardaient leur couleur primitive, ils pourraient être employé comme fèves à café et ce à la grande joie des Poilus.

 



NOTES

Jasse : Pendant la Grande Guerre, plusieurs dénominations désignant le soldat belge, telles “jass” (ou “jasse”, “jas”), “piotte”, “piou-piou” ou “poilu” sont indifféremment utilisées par les anciens combattants belges dans leurs carnets de guerre. Durant l’entre-deux-guerres, l’appellation “jass” va s’imposer. Ce terme est issu du mot flamand “jass” signifiant “manteau”. Citation extraite de « Au Poilu et au Jass inconnus… Mémoires de 14-18 dans l'entre-deux-guerres », dans Cahiers électroniques de l'imaginaire, n° 2, 2033-2004, éd. e-Montaigne, p. 167 en ligne sur http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/ucl/documents/cahiers2.pdf - retour au texte



BIBLIOGRAPHIE

  • Carlo Tibre in Le Claque à fond, n° 14, mai 1917.