Couteau

Richard Bit
Mise en ligne 3 août 2002


Objet de l'étude

C'est le couteau en tant qu'instrument de cuisine et de table qui sera l'objet principal de cet article. D'emblée, il nous faudra tenter de faire la distinction entre des instruments tels que le couteau et le poignard qui apparemment sont fort semblables.
Généralement, le couteau se distingue du poignard par le fait qu'il n'a qu'un seul tranchant et qu'on le considère comme un ustensile alors que le poignard est une arme. Pour certains, la principale différence concerne le manche qui, dans le cas du poignard, est symétrique et possède un pommeau, alors que celui du couteau est asymétrique et sans pommeau.
La distinction est d'autant moins aisée (ange ou démon ?) qu'à l'évidence certains couteaux ont pu servir de poignards et vice versa. D'ailleurs les couteaux aptes à ce double usage sont appelés couteaux-poignards.
Dès lors, il ne faudra donc pas s'étonner que nous fassions parfois l'amalgame afin de déterminer certaines tendances, et ce principalement lorsque la documentation fait défaut.
De plus, pour ajouter à la confusion, notons également que certains couteaux ont eu un rôle cultuel (sacrifices) ou d'apparat qu'il n'est pas toujours aisé de déterminer.

1. Définitions du couteau

a) Etymologie

Couteau : du latin cultellus qui est un diminutif de culter (coutre de charrue); au XIIIe s. : coltel ; coutelier : 1160 ; coutellerie : 1268 ; coutelas : 1410 (augmentation de couteau)

b) Définitions diverses

A titre indicatif et parmi tant d'autres, nous ne citerons que deux définitions du couteau :
- instrument tranchant servant à couper, composé d'une lame et d'un manche.
- sous le nom générique de couteau, on entend tous les instruments, et aussi les armes, dont la lame, avant tout tranchante, peut être pointue, mais est principalement destinée à couper.

En France, le code des Douanes précise que les poignards et les couteaux-poignards sont des armes dont la lame solidaire de la poignée est à double tranchant sur toute sa longueur ou tout au moins, à la pointe, d'une longueur supérieure à 15 cm et d'une épaisseur au moins égale à 4 mm, avec une poignée comportant une garde. On en conclut que les autres couteaux sont à considérer comme des outils et non comme des armes blanches (à usage militaire ou paramilitaire).

En Belgique, la loi n'est guère explicite ; elle classe les poignards et couteaux en forme de poignard dans les armes prohibées, à l'exclusion des couteaux de chasse. (Art. 3, Loi du 3 janvier 1933 relative à la fabrication, au commerce et au port des armes et au commerce des munitions mon. 22/06/1933, modifiée par Loi du 9/03/1995). Malheureusement, aucune définition ne vient préciser les termes utilisés.
Un volet technique qui nous a été aimablement communiqué par la gendarmerie précise que le couteau, considéré originellement comme un instrument utilitaire, est plutôt destiné à tailler alors que le poignard est une arme d'estoc (permettant de percer et de frapper) courte, effilée avec une lame à plusieurs tranchants et munie d'une garde.
Le couteau en forme de poignard serait un instrument servant, en principe, à tailler mais dont les caractéristiques essentielles (lame effilée, pointe acérée, permettant de percer) lui donne les apparences d'un poignard.
Le couteau de chasse serait un grand couteau à un tranchant utilisé pour achever le gibier.
Au niveau douanier, on précise que les couteaux de chasse (donc non prohibés) sont ceux dont la forme et les caractères (lame suffisamment longue, protégée par une garde efficace et engagée dans un manche solide), indiquent qu'ils sont destinées à servir normalement à des usages de vènerie (saigner, éviscérer et dépecer le gros gibier) et à être portés à la ceinture. (D.L. 3/76.907, 20/06/1983, plus repris dans la règlementation actuelle).
On y trouve également mention des canifs avec lames à ressort, à cran d'arrêt ou amovibles, pour autant que la longueur utile de la lame ne dépasse pas 7 centimères. Par contre, les couteaux non fermants, susceptibles d'être portés de cette manière, mais qui ne répondent pas aux caractéristiques précitées, constituent des « couteaux en forme de poignards » et sont donc prohibés.

c) Dénominations diverses

Les couteaux utilisés vers la fin du XVIIIe s. ont porté des noms bien différents. Afin de tester votre connaissance en la matière, nous en reprenons quelques uns à titre indicatif :

Couteau à baïonnette, à bascule, à bec de corbin, à la berge, à cachet, à la capucine, à la charolaise, à la chinoise, à creux, à double-joint, à la grecque, à grimace, à jambe de princesse, à loquet, à la militaire, à mouche, de peintre, à platebande, à plate-semelle, à pompe, à poudre, à la Ramponneau, à ressort brisé, à scier, à secret, à tambour, à tête d'aigle de toilette, à la turque.

La liste n'est pas close car on distinguait également les couteaux de chasse, de veneur, de pharmacie, à la Dauphine, à la d'Estaing (inventé par l'Amiral ?), à attrape, à la romaine, à un clou, à deux clous, sans clous, à tête de compas, d'amis, de jardinage, à cerneaux, à lame de rechange, etc.
Notre objectif n'est pas de vous inoculer un quelconque complexe d'infériorité mais de montrer, si nécessaire, l'étendue du champ d'action qu'il faudrait balayer.

d) Argot

Ce langage secret et parfois savoureux a laissé quelques traces à la postérité en ce qui concerne les couteaux.
A titre d'exemple, citons le surin qui vient du romani (début du XIXe s.) tchouri; il a donné chourin, sourin puis surin.
On a également utilisé les termes suivants : lardoir, rapière, rasif, coupelard, cure-dent, tranchant, charlemagne, l'amiral, coupe-sifflet, cra-cra, ya, etc.
Aristide Bruant nous en a légué un échantillon intéressant dans son Chant d'Apaches :

          À nous les eustaches,
            Les lingues à viroles,
            Les longes d'assassins...
            Pour le bidon des roussins 1
            Et pour le centre des casseroles 2

Signalons que l'eustache vient du nom du coutelier stéphanois Eustache Dubois qui fabriqua ce type de couteau en très grand nombre à la fin du XVIIe s. C'était un couteau à un clou, sans ressort, avec la base du dos de la lame prenant appui sur une virole métallique fixée sur un manche de bois. Le bas prix du couteau le rendit si populaire qu'on lui attribua le nom de son fabricant.

Dans le même ordre d'idée, mentionnons le lingre, terme qui provient de la déformation du couteau de Langres (cette ville est un haut-lieu de la coutellerie depuis le XVe s.)

e) Instruments apparentés

Le couteau est un mot que l'on met à toutes les sauces (!) et, pour bien des personnes, il évoque des choses totalement différentes.
Voici, à titre indicatif, une liste d'objets pointus et tranchants qu'il s'agit de différencier :

Canif instrument, le plus souvent de poche (composé d'un manche et d'une ou plusieurs petites lames) qui généralement se ferme. Il était anciennement appelé kenivet (première mention sous le nom de quenif en 1441, de l'ancien anglais cnif). Le couteau fermant existait déjà à l'époque romaine.

Coutelle et braquemart

sont plutôt de courtes épées.

Couteaux à crocs et à plates du Moyen Âge

étaient des armes dont la fine lame se glissait entre les joints de l'armure pour tuer l'homme qui était à terre (certains étaient appelés « miséricorde »).

Coutelas

au XVIe s., il s'agissait de cimeterres (ou anciens badelaires) qui étaient des armes à lame courbe munie d'un seul tranchant situé sur le côté concave. C'est, en fait, l'ancêtre du sabre.

Coutelets

anciennement, ils désignaient des petits couteaux de trousse servant à se faire les ongles. Le coutelet pouvait également servir de cure-dent.

Coutelets furgeoirs (furgette, esguillette)

au Moyen Âge, c'étaient de petits couteaux servant de cure-dent.

Dague

poignard à lame large, courte et pointue dont le milieu de la lame est toujours la continuation de l'axe de la poignée et qui meurt avec sa pointe (porté pendant le Moyen Âge et jusqu'au XVIIIe s.).

Poignard

le mot provient du latin pugnalis, lui-même dérivé de pugnus (le poing); arme à lame droite et très courte. Anciennement, c'était une dague de petite dimension (daguette), un stylet ou encore un couteau à lame fine et forte, destiné à frapper de la pointe.

Scramasaxe

couteau de guerre (en usage chez les Francs) possédant un seul tranchant rectiligne plus ou moins courbe ou coudé.

Stylet

poignard à lame très menue et ordinairement quadrangulaire ou triangulaire pouvant mesurer de 25 à 50 cm. de long (en usage surtout en Italie depuis la fin du XVe s.)

2. Description

couteau-1

1. lame - 2. pointe - 3. tranchant - 4. dos - 5. talon (à angle vif ou arrondi) -
6. mitre (ou bascule) - 7. virole - 8. manche - 9. culot (ou cuvette) - 10. bouton

 

couteau-2

Forme des pointes : (a = dos, b = tranchant)

1. symétrique - 2. relevée (sert à piquer le morceau coupé pour le servir) -
3. rabattue - 4. échancrée - 5. ronde (dans le cas des présentoirs,
de certains parepains, des couteaux de table à partir du XVIIe s.) -
6. relevée ronde (pour certains couteaux à gâteaux)

 

couteau-3

Fixation de la lame au manche :

1. mitre - 2. virole - 3. (demi-)soie - 4. crosse -
5. cuvette - 6. bouton - 7. soie traversante -
8. semelles - 9. soie plate - 10. rosette - 11. rivet - 12. talon



cout-chasse
  
Couteau de chasse :

1. goutière - 2. entablure - 3. ricasso - 4. garde -
5. guillon de garde - 6. virole - 7. manche (cerf)

3. Catégories

a) Couteaux usuels

Ils sont destinées aux usages domestiques (petite taille, un seul tranchant, la lame rentre parfois dans le manche). Dans cette catégorie, à notre époque moderne, on peut distinguer les couteaux de poche et ceux de table. Il faudra également accorder une place spéciale aux bâtardeaux (petits couteaux) qui étaient logés dans le fourreau de la dague ou de l'épée.
Sans entrer dans un luxe de détails, signalons que l'on distingue généralement la coutellerie fermante de la coutellerie non fermante (couteaux de table, de cuisine, etc).
La coutume veut que la coutellerie chirurgicale soit classée à part.

b) Couteaux d'office

Ils sont destinées aux usages de la cuisine et de la table comme par exemple :

le grand couteau à trancher utilisé par l'écuyer pour trancher les viandes (lame large avec terminaison carrée ou pointure pour piquer la tranche de viande)

le chaplepain

pour chapeler (enlever la croûte)

le parepain

sa lame arrondie servait à parer les tranchoirs (pains rassis qui supportaient la viande et servaient d'assiette consommable)

le taillepain

avec lame pointue (plus petit que le précédent)

le présentoir

qui, avec sa lame plate et large comme une spatule (un seul côté tranchant, extrémité largement arrondie ou carrément coupée) servait à présenter aux convives les morceaux de poissons ou de viandes et à les déposer sur un morceau de pain (tailloir)... et à enlever les miettes de la nappe. (L'usage des nappes, introduit au VIe s., se généralisa au XIIe; elle portaient alors le nom de doubliers.)

cout-presentoir17e

Couteau presentoir du XVIIe s.    

c) Les couteaux de vénerie

Ils étaient tous renfermés dans la trousse du veneur (jusqu'au XVIIIe s., on ne faisait pas de différence nette entre couteau de chasse et épée).

Le skinner (de l'anglais skin = peau) est destiné à dépouiller et à éviscérer le gibier. C'est un couteau extrêmement affûté (angle réduit à 20 à 25°) souvent avec une petite lame à émouture creuse et possédant un tranchant fortement convexe.

Le knicker

(d'origine allemande et autrichienne) a une lame fine et droite avec un seul tranchant et une garde simple forgée dans la masse. Il sert de couteau à découper.

Le puuko

est le couteau de chasse des peuples nordiques (Suède/Finlande). Il remonte (dans sa forme actuelle) au XIIe s. et aurait une origine attribuée aux Vikings. Il a une lame souvent brute de forge montée dans un manche rond en bois d'érable ou bois de renne.

Le bowie knife

est un couteau utilitaire caractérisé par une lame massive de 20 à 35 cm, souvent dotée d'un fort contre-tranchant. Certains prétendent qu'il aurait été inventé par Jim Bowie vers 1830 (la robustesse et la longueur de sa lame le rendait apte à parer les coups de sabres ou d'épées).

 

d) Les couteaux à armer

Ils ne diffèrent des dagues que par le fait qu'ils n'ont qu'un seul tranchant.

4. Historique

Trancher, couper, blesser, tuer, sacrifier, pour la bonne ou la mauvaise cause, voilà à quoi a dû servir le couteau dès l'aube des temps préhistoriques. Bien des matériaux différents ont pu remplir ces objectifs, que ce soit le bois, la pierre, l'os ou l'ivoire. De ces temps reculés, ceux qui sont parvenus jusqu'à nous sont surtout les couteaux en silex.
Mis à par les chef-d'oeuvres de l'Egypte antique, plus modestement chez nous, ils avaient un caractère principalement utilitaire.

Les éclats tranchants non retouchés, les grattoirs, les lames à encoche, sont-ils à considérer comme couteaux ?
La fonction de ces artefacts n'est pas toujours évidente et semble plutôt pencher vers l'outil polyvalent plutôt que vers l'outil spécialisé. La texture du silex est telle que son tranchant est incomparable et peut rivaliser avec les meilleurs aciers. Malheureusement, sa faiblesse réside dans sa fragilité. (Il en va de même pour les aciers, plus ils sont durs, plus il sont fragiles.)

Comme les origines de la métallurgie sont encore à préciser, une datation en la matière est fort problématique et varie suivant les régions. Cependant, il semblerait que les premiers métaux utilisés par l'homme soient ceux qui existaient à l'état natif (or, argent, cuivre). Le fer météorique (combinaison de fer, nickel, chrome cobalt...) a peut-être également été utilisé en raison de sa malléabilité.

Le poignard, arme spécifiquement métallique, serait né au Proche-Orient avec la découverte du cuivre vers 5300 av. J-C.
Ce premier métal utilisable n'a joué qu'un rôle négligeable compte tenu de ses piètres qualités physiques pour la fabrication d'armes et d'instruments soumis à des contraintes sévères. Il a parfois été allié à de l'arsenic afin de le durcir. Malheureusement, il se prête peu au moulage, mais il se forge facilement à froid ou à chaud et sa malléabilité permet le ciselage et l'estampage.

Par contre, la période de l'âge du bronze (1800-700 av. J-C.) nous permet d'analyser bon nombre de documents.
Ce sont principalement des poignards (alliage de cuivre et d'étain) qui sont parvenus jusqu'à nous. Ils étaient directement inspirés des modèles en pierre et, au début, seule la lame était en métal. La création de la soie qui permettait la fixation plus efficace du manche remplaça l'emploi des rivets métalliques traversant la poignée et la lame. Le stade suivant fut la fixation du manche sur la soie par rivetage.

À partir de 1200 av. J-C. (l'âge du fer), le fer remplace progressivement le bronze et l'on remarque l'apparition du fourreau.
En France, ce serait à partir du VIIe s. av. J-C. que l'on trouve les premières traces d'objets en fer. Sa production « organisée » ne daterait que du Ve S. av. J-C. Les bas fourneaux de l'époque atteignaient une température (1000 à 1100° C) qui était insuffisante pour fondre le fer. On obtenait des « loupes » (masses hétérogènes) qui comprenaient des résidus de charbon de bois, de la silice ainsi que d'autres impuretés dont du minerai non réduit. L'élimination de ces impuretés s'obtenait par le martelage de la loupe à chaud.
Il semblerait que les Celtes associaient déjà (par soudure) des lingots de fer doux et de fer carburé pour obtenir un effet de durcissement. (Les Mérovingiens obtinrent de magnifiques épées grâce à ce procédé; c'est ce que les Croisés appelleront plus tard « l'acier de Damas ».) Les anciens forgerons utilisaient des traitements du type cémentation qui conférait à la surface une grande dureté.

La période romaine nous a laissé des témoignages plus précis qui permettent de bien différencier l'arme de l'ustensile.

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Couteau romain

Les périodes mérovingiennes et carolingiennes reprennent, avec quelques variantes, les modèles romains. Il s'agit généralement d'une lame à dos rabattu.

Au Moyen Âge, le couteau (qui semble avoir eu plus de succès que le poignard) est toujours porté sur soi et sert à de multiples usages. Considéré comme un symbole de la masculinité, il était souvent rangé derrière une escarcelle, placée devant la ceinture.

Il faut attendre le XIe s. pour trouver la première référence écrite relative au couteau de table.

 

Remarquons que vers la fin du Moyen Âge, la « religiosité » influence la forme et la couleur des manches en fonction des fêtes de l'année : noir (ébène) durant le Carême, blanc (ivoire) à Pâques, noir et blanc à la Pentecôte.

 

Ci-contre : Couteau à huîtres, Moyen Âge.

En soulevant le ressort posé au dos, la lame de fer avec ornements gravés se refermait dans le manche composé de deux plaques de laiton ajourées.

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Fragment de vitrail, XVe s., coll. BMG

Les XVe et XVIe s. marquent l'apparition de couteaux de chasse destinés spécifiquement à cet usage. Il s'agit de la dague de vénerie destinée à servir (achever) le gibier et de la trousse de chasseur destinée à le découper. (Au Moyen Âge, on se sert de la dague avec la pointe vers le bas (sous la main), alors que durant les XVIe et XVIIe s., lorsqu'elle est utilisée avec l'épée, on la tient avec la pointe vers le haut. Ce détail pourrait expliquer la manière dont certains personnages repris sur des peintures tiennent leur couteau pour découper la viande.)

Au XVIe s., on assiste à l'apparition des couteaux de grâces avec large lame damasquinée portant au verso le Deo Gratias. Certains couteaux sont sertis de pierres précieuses auxquelles sont attribués des pouvoirs protecteurs contre les tentatives d'empoisonnement alimentaire (décoloration ou brisure au contact du poison).

couteaux-1570

Croquis de couteaux utilisées par la cuisinier du Pape Pie V (XVIe s.)

L'étui à couteau se nomme coutelière.  Cette gaine en bois ou en cuir, suspendue à la ceinture
du cuisinier, pouvait contenir 5 ou 6 couteaux, ainsi qu'un couperet et, parfois, une fourchette.


Le Cardinal de Richelieu, choqué de la mauvaise manière dont le Chancelier Séguier utilisait le couteau (pour se curer les dents), fit interdire les lames pointues (Édit de Lille, 1669).
Les lames s'arrondissent et atteignent une longueur exceptionnelle sous Louis XIV. C'est à la fin du siècle que l'on voit apparaître des manches en faïence (Moustiers) ou en porcelaine tendre (Saint-Cloud).     

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Couteaux de cuisine du XVIIe s.

Dans le courant du XVIIIe s., le développement des manufactures de Sèvres et de Saxe met ce type de décoration à la mode.
En 1756, un arrêt du Conseil d'Etat autorise les couteliers à fondre et à employer l'or et l'argent dans leur ouvrages (réservés anciennement aux orfèvres).
En 1764, Jean Gavet (coutelier du roi, à Paris) utilise pour la première fois une matrice pour estamper les manches d'argent, à l'aide d'un balancier. Apparition des manches en nacre, ivoire avec filets et incrustations d'argent ou d'or et durant la deuxième partie du XVIIIe s., ils prennent la forme de  « crosse » (de pistolet).
Notons que le « couteau à la française » possède un manche à section plate avec cuvette et qu'un écusson apparaît sous le Directoire.

couteau-allemagne couteau-18e-solingen couverts-18e-alpe
Allemagne, XVIIIe s. Solingen, Allemagne, XVIIIe s. Alpes, XVIIIe s.


L'ère napoléonienne voit apparaître les lames à pointe rabattue, genre stylet, puis les lames turques rappelant la forme des sabres des mamelouks. Les manches sont désormais plats, agrémentés d'écussons d'or ou d'argent.

Sous la Restauration se développent la technique de l'estampage des manches en argent et l'usage du nacre pour les garnitures.
Avec Louis-Philippe, on revient à la lame ronde (anglaise) et la forme des viroles évolue considérablement (virole-vase).

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Couteau fabriqué par Gavet, lame en or, manche orné de nacre.

Gavet invente la lame ronde à bascule (bascule = saillie à la base de la lame, servant de point d'appui au manche pour éviter que la lame ne touche la nappe). Ce système se généralise sous le Second Empire avec l'introduction des manches en corne de buffle.
Vers 1875 apparaît la virole à manchette qui se prolonge loin sur le manche. On note également l'apparition, sur le bas des manches, de culots de même style que les viroles.

5. Etapes de fabrication

Un petit préambule nous paraît nécessaire pour mieux cerner les différents rôles joués par les artisans qui ont réalisé des couteaux.

En effet, le système féodal avait organisé le monde du travail en gildes (ou métiers, corporations) dont l'activité était clairement définie par des règlements. Théoriquement, un couteau devait donc passer par différentes corporations avant d'atteindre le stade de la finition ultime.
Voici quelques éléments qui devraient permettre une meilleure compréhension du système :


a) Les corporations

Normalement, le coutelier est une personne qui vend ou fabrique des couteaux, mais la situation est loin d'être aussi simple.

En France, les couteliers étaient regroupés en corporations (citées en 1250) dès le règne de Philippe-Auguste. Ils vendaient des couteaux de table, des couteaux de poche, des stylets pour écrire ainsi que des gaines. Ils formaient deux communautés distinctes possédant des statuts particuliers :

  1. les fèvres-couteliers qui fabriquaient les lames;
  2. les couteliers faiseurs de manches (en os et en ivoire).

Ces métiers furent réunis vers la fin du XVe s. et on leur associa la corporation des rémouleurs.
En 1565, ils empiétaient sur les prérogatives des armuriers fourbisseurs. Ils furent alors autorisés à fabriquer des lames d'épée et de dagues, puis des pertuisanes, des ciseaux...
A la suite d'un désaccord avec les orfèvres, des lettres patentes (1756) les autorisent à fondre et employer l'or et l'argent dans leur ouvrage. Ils sont désormais des couteliers-graveurs et doreurs sur fer et sur acier.

Dans la Principauté de Liége (ancienne orthographe), les couteliers faisaient partie de la corporation des fèbvres (forgerons ou travailleurs des métaux membres des XXXII bons métiers).
Les couteliers (Armoiries : de gueules, au mailloche d'argent emmanché d'or, sommé d'une couronne du même, à 3 fleurons et 2 perles, accosté de 3 tricoises d'argent; patron +Saint Eloi, en Saint-André.) étaient les seuls autorisés à fabriquer couteaux, faulx, sciquilles (faucilles), blancs tranchants (armes blanches) et fers de piques.
La gaine (ou le fourreau) relevait du privilège des « gainiers » mais le coutelier pouvait la fabriquer pour autant qu'elle soit vendue en même temps que la lame forgée par ses soins.
Dans la Principauté, seuls les membres de la corporation des pêcheurs pouvaient porter le couteau (car jugés de moeurs paisibles ?!)


b) Fabrication

L'ancien procédé faisait appel aux opérations suivantes :

  • le martelage avec le martinaire (marteau mécanique) pour aplatir et allonger la barre de fer ou d'acier,
  • le forgeage,
  • les limage, perçage, émoulage, polissage, plaquage, mettrage…

Au fil du temps, les artisans spécialisés tels que le martinaire, le perceur, le mitreur, le forgeron de lames ont été remplacés par une machinerie perfectionnée.

Actuellement, la fabrication des couteaux donne lieu aux opérations suivantes :

1) fonte Le métal utilisé est un acier fondu au creuset (souvent un alliage de 0,5% de tungstène et des aciers à 13% de chrome). Certains couteliers contemporains préfèrent découper les lames dans des barres d'acier dont l'alliage est de 17% de chrome, 1,06% de carbone et 0,% de molybdène !

2) Forgeage

Le travail de la forge a surtout pour objet de corroyer les lames pour leur donner une texture fine et homogène.
On étire (généralement à l'aide d'un martinet ce qui a pour effet d'obtenir un acier très serré et très dur, ou au laminoir ce qui donne un acier moins compact mais plus homogène) une barre de fer pour lui donner la forme voulue. Souvent les pièces sont ébauchées par étampage ou laminage à chaud dans des cylindres cannelés et terminés par martelage à froid.

3) La trempe

La trempe a pour effet d'augmenter la dureté, la résistance à la rupture et de diminuer la résilience (faculté de déformation) ainsi que l'allongement. Elle est effectuée dans l'eau froide ou à l'huile, parfois à l'huile après chauffage entre 750 et 850° selon la composition de l'acier. La qualité de l'eau utilisée a une grande importance. Le revenu (Il a pour objectif d'homogénéïser les structures et de stabiliser les propriétés mécaniques du métal; il consiste à chauffer un alliage déjà trempé à une température inférieure au point de la transformation (150 à 650°C) et à maintenir cette température pendant 1 à 10 heures puis à la refroidir lentement à l'air.) se fait parfois dans des bains de plomb et d'étain fondus ou dans des fours en se mettant à l'abri de l'oxydation.
En principe, on chauffe le métal à une température supérieure au point de transformation du métal (850 à 900°C), cette température est maintenue jusqu'à obtention de la structure austénitique (structure naturelle de l'acier refroidi à l'air en sortie de coulée), le refroidissement est contrôlé dans un fluide approprié pour obtenir une nouvelle structure cristalline.
Le recuit est effectué pour obtenir un compromis entre souplesse et dureté. Il consiste à chauffer un alliage à une température supérieure au point de transformation, à maintenir cette température puis à refroidir lentement dans une atmosphère gazeuse généralement neutre.

4) L'aiguiserie

a) L'émeulage : pour donner à la lame le tranchant. Il se fait avec un enduit d'eau et de suif, sur des meules en grès qui tournent à une vitesse modérée afin d'éviter l'échauffement. L'émouture effectuée par les émouleurs se fait dans un local appelé le « rouet », elle donne l'épaisseur du tranchant en fonction de l'utilisation envisagée. A l'heure actuelle, on utilise l'émouture à la bande abrasive.

b) L'affilage : pour abattre le morfil subsistant après l'émeulage. Il se fait à la main sur des pierres à aiguiser huilées.

c) Le polissage : pour donner à la lame un aspect net et brillant. Il s'effectue soit sur des meules en bois recouvertes de cuir sur lequel on met une potée d'émeri, soit à la main en fixant la lame dans un étau et en la frottant avec un morceau de bois recouvert d'émeri, soit encore en la frottant avec une brosse métallique enduite de potée. Il est effectué par étapes successives avec des grains d'émeri de plus en plus fins sous des angles différents (afin de croiser les traits).

5) L'ajustage
C'est l'ensemble des opérations qui a pour but d'achever la présentation des lames et de les monter sur les manches.
Pour les couteaux de table, la soie (en forme de pointe) est à section carrée ou plate et séparée de la lame par un rebord ou mitre. L'ajustage consiste à enfoncer la soie dans le manche. La soie est chauffée légèrement et le manche a été préalablement percé d'un trou rempli de ciment en poudre (d'une partie cire, une partie brique pulvérisée et quatre parties de poix broyée). La mitre de la lame doit prendre appui sur la virole du manche. La soie qui dépasse parfois est alors rivée à son extrémité. Les soies plates sont montées sur des manches formés de deux plaques rivées.
Les couteaux fermants ont des lames sans queue mais qui possèdent un renflement appelé talon et percé d'un trou. Dans ce trou passe un axe servant de pivot à la lame/ Le talon est arrondi suivant une de ses tranches et s'appuie sur un ressort. La ou les lames coupantes sont placées entre deux lames fixes appelées platines, recouvertes de bois ou d'une autre matière.

a) les viroles
À l'époque romaine jusqu'au Xe s., cette pièce métallique fort rudimentaire servait principalement à consolider l'emmanchage pour compenser l'effort de la soie dans le manche du couteau. A partir du X-XIIe s., elle joue également un rôle esthétique.h
Jusqu'à la fin du XVIIe s., les viroles ont une forme ronde; au XVIIIe, elles deviennent ovales et au début du XIXe, elle sont plates « demi-françaises » puis redeviennent ovales vers 1830.
Les motifs diffèrent selon le style de l'époque mais les motifs floraux apparaissent vers 1890.

b) les manches
Le cacheur dresse à chaud la gorge (ou partie creuse de la corne) et la presse pour obtenir les côtes des couteaux pliants.
Le façonneur utilise la pointe (ou partie pleine) qu'il dresse (après l'avoir portée à ébullition, passée à la flamme et pressée) pour obtenir une pièce droite.
La pièce est sciée selon un gabarit, calibrée (avec une fraise), façonnée avec une espèce de meule, grattelée, polie, percée et lustrée.

 

cout-vigneronhuy    

Couteau de vigneron, fabriqué par un coutelier de Huy (Belgique), XXe s., coll. BMG

 


 

NOTES

[1] La casserole, c'est la gagneuse, la prostituée. - retour au texte
[2] Les roussins sont les policiers. - retour au texte

 


 

BIBLIOGRAPHIE

  • Analyse des chartes et privilèges des XXXII bons métiers de la ville, cité et banlieue de Liège, De Meester, Wetteren, 1933, 54 p.
  • Gilles Bongrain, Les couteaux de chasse, Customs et industriels, p. 48-52 et 58-62
  • Roger Rouquier, Couteaux et argot, p. 78-82
  • M. H. Landrin, Manuel du coutelier, Léonce Laget, Paris, 1978, réimpression d'un ouvrage publié en 1835, 431 p. Imp. Cardon à Troyes (deuxième partie)
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  • http://Ledauphinois.free.fr/lexique/lexique.html
  • http://www.musee.coutellerie.thiers.com/couteaux.free.fr/