Légumes et fruits en Wallonie

Nicole Hanot
Mise en ligne 13 février 2007


Les remarquables diversités régionales de la Wallonie ont depuis des siècles différencié les types d'exploitations et de cultures wallonnes.
Au XVIIIe s., par exemple, la Hesbaye offre une place appréciable au froment alors que le pays de Herve a misé depuis deux-cents ans déjà sur les vergers et l'élevage, le Condroz et l'Entre-Sambre-et-Meuse cultivent l'épeautre, la Famenne le seigle…

Partout cependant, même en Hainaut, la pomme de terre a pris le pas sur le topinambour et s'est imposée comme légume de base, sous des appellations différentes (crompire à Liège, balot à Jupille, ou canada à Namur - prenant ainsi au passage le nom de son concurrent malheureux, ce qui désoriente bien les historiens !) 1
Dans des contrées dévastées par la guerre de Trente Ans, la patate était un aliment providentiel.

                J'ai su par des temps de famine,
                Nourrir le riche et l'indigent;
                Et plus que toi [la pomme],
                j'ai droit, je pense,
                De parcourir les grands chemins :
                Je n'ai pas sur la conscience
                D'avoir fait damner le genre humain.
              

A. De Pils, 1755-1813

Cuite à l'eau, étuvée dans du vin d'Espagne 2, rissolée, en galette, crêpe ou omelette, en salade ou en roustiquette, en touffâye, la pomme de terre fut présente à toutes les tables ; elle se mangeait si souvent pètêye [grillée] qu'en Wallonie, on faisait à tout visiteur la politesse de dire : Prindez'ne crompîre so l' rustê ! [Vous prendrez bien une pomme de terre sur le grill].

rassenfosse-affiche

Affiche de Rassenfosse - coll. Musée de la Gourmandise - © BMG

Outre les « classiques » wallonnes (la Plate de Florenville indispensable à la préparation de la Touffaye ou l'ardennaise Cwène di gade [corne de chèvre] considérée par certains comme une des meilleures pommes de terre au monde, laissez-vous tenter par la plus rare Vitelotte négresse, petite tubercule farineuse à la chaire mauve et à l'odeur de châtaigne, cultivée notamment à la Ferme Gourmande de Œudeghien.

Dans les Ardennes, la culture des pommes de terre pendant l'année normalement consacrée à la jachère, a constitué le premier aménagement de l'assolement triennal qui se pratique dans toute la Wallonie aujourd'hui, principalement dans le nord de la région pour les cultures extensives en plein air (en assolement avec des cultures agricoles) de pois verts, haricots, chicorées, carottes… destinées à l'industrie de transformation.

Mais du nord au sud, les cultures de légumes conventionnelles coexistent avec celles « par lutte intégrée » 3 et avec les « bio » soutenues par l'asbl Nature et Progrès Belgique qui rassemble plus de de 5 500 membres, consommateurs, agriculteurs, transformateurs et revendeurs actifs dans la mouvance de l'agriculture biologique.

Pour des raisons géographiques évidentes, la production maraichère et fruitière wallonne est traditionnellement concentrée dans la zone limoneuse - dont la qualité du sol se prête à ces types de culture - allant du Hainaut à la Province de Liège. D'ouest en est, la production est davantage centrée sur les légumes (Région hennuyère), puis sur les légumes et les fruits (Hesbaye) et enfin principalement sur les fruits (Pays de Herve).

carte-wallonie-regions

Diversité des régions en Wallonie

Mais on trouve également, dans le sud de la province de Namur et dans le Luxembourg belge, des petits maraichers et fruiticulteurs dont les techniques de production se sont adaptées aux difficultés que présentent sols et moyens de commercialisation.

La Région wallonne produit une grande variété de légumes : asperges, bettes, carottes vrac, carottes botte, cardons, cerfeuil, cresson de fontaine, cèleris (branches (blancs et verts) et raves), chicorées (chicons, scaroles, frisées fines), choux (blancs, verts, rouges, de Bruxelles, fleurs, brocolis, chinois, de mai et pointus), champignons, courges (courgettes, potimarrons, courges halloween), échalotes, épinards, fenouils, haricots beurre, haricots princesse, haricots à rames, icebergs, laitues (romaines, alternatives), mâche, navets, ognons de garde, ognons ciboules, panais, persil, poireaux, radicchio, rhubarbes, maïs doux, melons et plantes condimentaires (romarin, persil, cèleri, ciboulette, basilic, sarriette, mélisse, aneth, estragon, cerfeuil, coriandre, origan, menthe, marjolaine, roquette, sauge, oseille, thym, laurier).

La commercialisation de ces produits passe essentiellement par les criées du nord du pays.

Un nombre assez important de producteurs travaillent cependant pour des centrales d'achat (grande distribution ou grossistes) ou les marchés de gros de Marcinelle, Droixhe, Mouscron.
L'application rationnelle d'une combinaison de mesures biologiques, biotechnologiques, chimiques, physiques, culturales ou intéressant la sélection des végétaux dans laquelle l'emploi de produits chimiques phytopharmaceutiques est limité au strict nécessaire pour maintenir la présence des organismes nuisibles en dessous de seuil à partir duquel apparaissent des dommages ou une perte économiquement inacceptables.

Le « circuit court » se développe aussi, qui permet la commercialisation de proximité, et des filières commerciales organisées - comme le le GPFL (Groupement des producteurs des fruits et légumes) - se créent pour répondre aux exigences de la Communauté.

Dans la région de Waremme, après les fructueux essais de l'Ipes, un centre d'enseignement pilote, quelques paysans se lancent en 1985 dans une expérience inédite en Belgique : la production de carottes à grande échelle, et fondent L'Yerne SC, qui cultive 180 ha (dont 40 en bio), occupe aujourd'hui 19 personnes, et commercialise ce légume en gros et au détail, travaillant principalement pour le marché du frais.
Plus connue sans doute des financiers est la firme Hesbaye Frost, qui racheta en 1985 l'ancienne usine Marie-Thumas à Geer, sur le site historique d'une ferme de l'Abbaye de Flône. Cette entreprise, aujourd'hui l'un des plus importants sites de production de surgelés en Europe avec un chiffre d'affaires de 60 millions d'euros, produit annuellement quelque 95 000 tonnes composées essentiellement des légumes surgelés (81 000 tonnes 4), du riz (11 000 tonnes) et, depuis 2004, des pâtes fraiches (2 à 3000 tonnes). Délai entre la récolte du petit pois et la fin du processus de surgélation : 150 minutes… Un record !

À l'opposé de ces entreprises de poids, de petits producteurs wallons développent des produits fragiles dans des situations parfois étonnantes. Ainsi à Mazée dans le Namurois, on utilise un vieux tunnel ferroviaire désaffecté pour cultiver naturellement, à une température de 9 à 11 degrés et 25 % d'humidité, sans chauffage, ni améliorateur, après incubation dans des ballots lardés et après gobetage (dolomie, tourbe, eau)…des Blonds de Vireux, champignons au savoureux parfum forestier, et autres pleurotes, pied bleu, strophaire…
Ailleurs c'est la coutume locale qui pousse le paysan à continuer une culture. Comment, sans bette, préparer la célèbre Tarte al djote de Nivelles ?
D'autres profitent de l'air du temps et de la mode qui prônent le retour aux valeurs du terroir. Dans la région de Hotton-Durbuy, par exemple, se met sur pied une filière pour revaloriser l'épeautre avec l'aide de la Région Wallonne, des fonds structurels européens, du Centre d'économie rurale de Marloie, du Centre de recherche agricole de Gembloux, du centre d'expérimentation de Malagne à Rochefort. On refera du pain d'épeautre, on recuira ces graines comme du riz, on remangera de la soupe d'épeautre…

En ce qui concerne les fruits, les pommes dominent le marché avec 750 ha, directement suivies par les poires (500 ha). Dans les 2 cas, la plupart des vergers de hautes tiges, où nichaient toutes sortes d'oiseaux, ont été remplacés par des basses tiges par satisfaire aux exigences de la société de consommation : produire de gros fruits bien calibrés sans défaut, avec le moins de frais et de travail possible…
En 1990, le Groupement des Arboriculteurs Wallons pratiquant les techniques Intégrées (asbl GAWI) a créé un cahier des charges sous l'appellation « Fruinet ». Fruinet devient rapidement une marque de certification belge, une société commerciale siégeant à Visé, et même… en 2003 un groupe européen ! En Belgique, Fruinet commercialise les pommes et poires de plus de 75 producteurs belges, qui représentent près de 1300 ha, notamment dans la plupart des magasins « Delhaize-Le-Lion ».

L'attachement des Wallons à leurs traditions se conjugue avec la nécessité de faire progresser la qualité des productions,. Le département de lutte biologique et des Ressources phytogénétiques du Centre de recherches agronomiques de Gembloux a ainsi inventorié et rassemblé depuis 1975 les variétés d'arbres fruitiers autrefois présents dans nos vergers.  Sa banque de gènes compte quelque 2400 variétés, principalement de pommiers, poiriers et pruniers.

A côté de la poire Légipont d'origine liégeoise ou de sa sœur hennuyère la Durondeau, le curieux et le gourmand peuvent retrouver aujourd'hui sur le marché jusqu'à 62 types de pommes et poires différentes (par ex. aux Vergers de Brunehaut dans le Tournaisis). Connaissez-vous la Court pendu, la Flipkes ? et celle-ci :

ananas-courtrai-2

l'Ananas de Courtrai ?


La réputation des fraises wallonnes (70 ha) n'est plus à faire, notamment grâce à la fraise de Wépion (Namur), véritable « patrimoine wallon », cultivée en pleine terre, cueillie à maturité le matin pour être vendue le soir à la criée et se retrouver dans l'assiette du consommateur le lendemain. Les fraisiéristes wallons obtiennent par la culture en pleine terre des fraises généralement plus savoureuses et plus sucrées que celles cultivées par hydroponie (culture hors sol, généralement sous abris). Mais la concurrence est rude et des centres renommés de culture comme Tihange (près de Huy) ou Vottem (près de Liège) ont quasiment disparu.

Les cerisiers (de plus en plus en vergers de basses tiges, +/- 130 ha), pruniers (+/- 20 ha), framboisiers, groseilliers, cassis et muriers (+/- 30 ha) complètent une gamme fruitière à laquelle s'ajoutaient jadis prunelliers, cognassiers et vigne. Cette dernière, présente sur les coteaux mosans dès le Moyen Âge, a quasiment disparu à la fin du XIXe s. Des passionnés ont réussi le défi de rouvrir des vignobles et la Wallonie compte désormais deux appellations d'origine contrôlée : Côtes de Sambre et Meuse et Vin de pays des Jardins de Wallonie.

Une partie de la production des petits fruits a toujours été consacrée à la préparation des confitures, gelées, sirops,… des jus de fruits, vins de fruits, eaux de vie et liqueurs dont les Wallons sont friands.
Vous trouverez ces productions « maison » dans bien des fermes dont certaines ouvrent leurs champs aux visiteurs qui font eux-mêmes la cueillette.

Le développement de ces productions artisanales constitue à la fois une innovation et la perpétuation de coutumes qui remontent parfois bien loin dans le temps…
Jugez-en avec le Purnalet : la tradition orale rapporte que pour planter la vigne sur le versant sud du Deister, les Romains arrachèrent muriers et pruneliers. Mais les ceps de vigne ne résistèrent ni à la pauvreté du sol, ni aux rigueurs de l'hiver ardennais. Ils dépérirent et, la nature reprenant ses droits, la flore primitive réapparut encore plus vigoureuse permettant aux Rochois de reprendre la fabrication dans leurs grès d'un breuvage qui donnait force, santé, bonne humeur et... amour, le Purnalet.

Vous découvrirez aussi le caractère bon-vivant des Wallons lors des fêtes traditionnelles de fin de récolte ou de vendanges. Des fêtes qui ne représentent parfois plus qu'un souvenir d'activités disparues… comme à Champlon, Famenne dont les habitants spécialisés dans la production de cerises ont dû abandonner leur activité face aux importations massives de cerises. Des fêtes qui célèbrent parfois aussi la renaissance de légumes oubliés, comme la foire aux potirons de Tourinnes-St-Lambert.

Le sens de la fête et l'attachement aux produits du terroir ont suscité la naissance de nombreuses confréries, celle de l'ordre du Porais Tilffois [poireau de Tilff], celle des « Peûres di Sint-R'Mèy » [poires de Saint-Remy], celle « de la Grusalle »[groseille], celle « dèl târte al djote » [tarte aux bettes], etc.

Elles participent à la promotion des traditions gastronomiques wallonnes. Souvent, elles font œuvre de mémoire comme la Confrérie du choupin :

D'après certaines sources, le choupin est une spécialité typiquement liégeoise. Après 1815, des maraichers venus de France se sont installés en notre bonne province et ont apporté dans leurs bagages deux choux, un nommé « cœur de bœuf » et l'autre « le pointu ». Par sélection et hybridation, la forme et gout se sont transformés, deux types de choux ont été cultivés ; l'un petit et hâtif (Pétry) et l'autre grand et tardif (Dubois-Devillers). Un croisement des deux variétés aurait donné naissance au choupin actuel. Ce chou est d'une forme assez particulière, rappelant celle d'un ballon de rugby. Sa production s'étale de mai à septembre. Il est un légume exceptionnel, en ce sens qu'il offre une délicatesse de gout et que sa cuisson est inodore, contrairement à bon nombre d'autre choux.

 


 

NOTES

[1] Canada, nom wallon du topinambour, est aussi utilisé pour pomme de terre. - retour au texte

[2] Au XVIe siècle, à la Cour du Prince-Évêque de Liège :

casteau-titre

casteau-2

Casteau ( Lancelot de) - Ouverture de cuisine par Lancelot de Casteau - retour au texte

[3] Lutte intégrée : application rationnelle d'une combinaison de mesures biologiques, biotechnologiques, chimiques, physiques, culturales ou intéressant la sélection des végétaux dans laquelle l'emploi de produits chimiques phytopharmaceutiques est limité au strict nécessaire pour maintenir la présence des organismes nuisibles en dessous de seuil à partir duquel apparaissent des dommages ou une perte économiquement inacceptables. - retour au texte

[4] 81 000 tonnes composées à 57 % de pois, à 12 % de haricots verts, 14 % d'épinards, 8 % de fèves, 4 % de choux de Bruxelles, 5 % de racines (carottes) - retour au texte


 

BIBLIOGRAPHIE

  • Fernand Pirotte, La pomme de terre en Wallonie au XVIIIe siècle, Ed. du Musée wallon, Liège, 1976
  • Jean Haust, Dictionnaire liégeois, Imp. de l'Académie, Liège, 1933
  • Lancelot de Casteau, Ouverture de cuisine par Lancelot de Casteau, De Schutter, Anvers, 1983 (reprint de l'édition de 1604)
  • http://www.prov-liege.be/confreries/
  • Chantal Van Gelderen, Trésors gourmands de Wallonie, À la découverte des produits d'exception du terroir wallon, La Renaissance du Livre, Tournai, 1999
  • [A .R.C.] - Fabricants de sirop, Arboriculteur, Ed ARC, Engis, 1996