La boulette sauce tomate, bientôt au panthéon de la flandritude ?

Mathieu Nguyen
Mise en ligne 3 décembre 2019.

 

Cet article a été publié dans l'hebdomadaire Le Vif/Weekend du 21/11/2019 ; nous le reproduisons avec l'autorisation de l'auteur :

 

Cela n'agite pas tellement les esprits de ce côté-ci de la frontière linguistique, et pour cause, mais les autorités du nord du pays planchent actuellement sur un canon, sorte de recueil où sera consigné chacun des éléments fondamentaux qui constituent l'identité flamande.

Boulette tomate JasonLeung

© Jason Leung

À ce vaste édifice, la ministre Zuhal Demir a voulu apporter sa pierre, insistant pour que ce panthéon de la flandritude inclue certaines spécialités culinaires. Spontanément, on pense au waterzooï, dont personne ne réfutera les origines gantoises, qui remontent au Moyen Âge - voire nettement plus loin si l'on en croit Astérix. Eh bien non. Madame Demir avait autre chose en tête: les boulettes à la sauce tomate.

Sauf que d'emblée, des experts ont pointé que ni les ballekes, ni leur savoureux coulis ne méritaient chez nous une quelconque AOC. Pour les premières, c'est facile : on en fait partout depuis toujours, difficile d'en réclamer la paternité. Pour le second, la tomate est originaire de la Cordillère des Andes, et fut introduite en Europe via l'Espagne et l'Italie, ce sont donc les échanges entre Nord et Sud qui ont favorisé son arrivée ici.

On n'ira pas jusqu'à accuser la ministre d'appropriation culinaire, mais on s'amusera peut-être qu'une manoeuvre destinée à renforcer un sentiment d'appartenance nationale démontre finalement que les traditions proviennent toujours de siècles d'échanges et d'interpénétrations culturelles. Merci pour le rappel.

 


Notes


1 - La proposition de Madame Demir a été moquée tant du côté francophone que néerlandophone - lire, par exemple, cet article. D'origine kurde et turque, cette jeune femme a sans doute dû être influencée par les délicieux mets à la sauce tomate de sa culture familiale… mais de là à confondre zone moyen-orientale et Vlanderen, c'est énorme !

2 - Pour mémoire, la Bibliothèque de la Gourmandise vous rappelle quelques notions et différences sur les boulettes telles que couramment cuisinées en Belgique :

  • Boulette (FR) / Gehaktbal (NL)/ fricadelle FR: partout en Belgique (et ailleurs dans le monde), boule rôtie de viande hachée liée par du pain, de la chapelure ou de l'oeuf, relevée de sel et de poivre et éventuellement aromatisée de fines herbes. Elle se mange chaude ou froide, avec ou sans sauce. On la trouve préparée en sauce tomate dans bien des boucheries du pays - notamment chez Dufrais et Renmans, deux chaines associées à des supermarchés.
  • Balleke : nom de la boulette dans la région bruxelloise.

  • Boulèt : nom de la boulette en wallon. De porc et de veau, ou de porc et de bœuf, le boulèt est doré à la poêle puis cuit à feu doux dans une sauce tomate ou, dans le pays de Liège, dans une sauce brune dite « Lapin », à base de bière, de sirop de Liège, d'ognon et corinthes.

Boulets la ligeoise 1

Boulets « à la liégeoise » en sauce Lapin
au Musée de la Gourmandise de Hermalle-sous-Huy.
© Marianne Casamance

  • Vitoulet : boulette de hachis de veau et de porc haché très finement, avec chapelure ou pain de mie, échalote, sel, poivre et un peu de muscade. Traditionnel dans la région de Charleroi, il se mange froid, sans sauce.

  • Fricandelle : en Belgique, boulette allongée en forme de saucisse de poulet et de porc, pannée et cuite à la friture, que l'on trouve dans tous les fritkots. Elle fut inventée, semble-t-il, par Jan Beckers, le fils d'un boucher hollandais.